Culture, Insertion

« Je suis chanceux d’être allé si loin »

Rencontre avec Solomon Iguma, Lormontais impliqué dans la création de Frontières, spectacle imaginé par la compagnie Entre-Nous et co-construit avec les habitants.

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Pour l’interview, Solomon ne vient pas seul. À ses côtés se tient Germinia, sa fiancée, rencontrée en 2019 dans le quartier du Grand Parc où ils habitaient encore récemment. Germinia, l’alter ego, la particule complémentaire de Solomon. Elle qui ne parlait pas un mot d’Anglais il y a quelques mois, traduit avec ses mots et sa sensibilité les paroles de son compagnon. Les deux semblent inséparables. Pourtant, à son arrivée en Europe en 2015, Solomon était seul, très seul.

Se construire une nouvelle vie

« Je viens de Benin City, une grande ville du sud du Nigéria. J’ai un diplôme de marketing, mais dans mon pays le système nous met des bâtons dans les roues. Il est très difficile de trouver un travail*, raconte Solomon. À 19 ans, j’ai décidé de tenter ma chance sur un autre continent. Il y a plein de choses à découvrir dans ce monde. Je voulais aller voir plus loin et me construire une nouvelle vie. »

Commence alors pour lui un périple hasardeux, qui le hante encore aujourd’hui : la traversée du désert de Lybie, puis de la Méditerranée dans un bateau qui prend l’eau, la perte d’amis et compagnons de voyage, puis l’arrivée en Italie où il vivra deux ans.

« Là-bas j’ai rencontré le racisme et la discrimination. Je n’avais pas de papiers alors j’allais de foyer en foyer. L’Italie, c’était comme le Nigeria en plus structuré. Est-ce que j’avais fait tout ce chemin pour ça ? Je me suis sérieusement posé la question de revenir en arrière. Mais je ne voulais pas échouer. »

 

 En tant qu’aîné, Solomon a un devoir de soutien à sa famille, encore plus depuis le décès de son père en 2018.
« Je ne l’ai pas revu car je ne suis pas retourné au Nigeria, mais il aurait voulu que je continue. »

Un long parcours jusqu’à Lormont

Le jeune-homme transite un temps par la Hollande, puis par l’Allemagne où il trouve un travail qui lui permet de prendre soin à distance de sa mère et de ses frères et sœurs. En juin 2019 il rejoint son oncle et sa famille, en France, dans le quartier du Grand Parc. C’est là qu’il rencontre Germinia Mendes Furtado, psychologue de formation et animatrice au centre social

« Dans mon métier, j’ai l’habitude de monter des dossiers, d’aider les gens. Mais là, c’est paradoxalement plus dur, témoigne celle-ci. J’ai peur de le perdre. Rencontrer Solomon m’a rappelé le parcours de mes propres parents, portugais et capverdien. À l’époque il était plus facile d’obtenir des papiers, de trouver du travail en France. On a fait toutes les démarches pour obtenir un titre de séjour, on s’est même pacsés l’an dernier. Mais on ne voulait pas se marier juste pour les papiers. »- Germinia

« Moi je n’ai pas peur, assure Solomon. J’ai une chance inouïe : je suis venu en Europe, j’ai rencontré l’amour. J’ai vu le bien, le mal, la laideur et la beauté du monde. Je suis allé si loin ! »- Salomon

Germinia et Solomon se soutiennent et s’encouragent mutuellement. Ils vivent désormais à Lormont. 

 

« J’ai voulu apprendre sa langue pour l’alléger. »

À la maison, le couple parle Anglais.

 « Dans sa tête, toutes les langues commencent à se mélanger, constate Germinia. Mais s’il ne parle pas Français, il restera comme emprisonné. J’ai voulu parler sa langue pour l’alléger. J’estime que nous, les Français, avons un devoir d’accueil des citoyens étrangers. Nous devons leur donner les moyens d’être libres. Ça devrait être ça, l’intégration ».

Pour qu’il retrouve son autonomie, trouve un travail, passe son permis de conduire, « qu’il se découvre à d’autres personnes », comme elle le dit joliment, la jeune-femme incite son compagnon à prendre des cours de Français à l’espace d’animation du Bois fleuri. Il y fera une rencontre déterminante.

 

« Un jour, il est rentré à la maison en disant qu’on lui proposait de danser dans une compagnie, raconte-t-elle. La première fois que je l’ai vu en répétition, j’étais si fière et émue ! Il mettait dans la danse toutes ses émotions. » - Germinia

« Emmanuelle a compris qui j’étais et n’a rien voulu changer, poursuit Salomon. Elle ne me demande pas de danser correctement, mais d’exprimer mon vécu à travers la danse. Pour le spectacle, j’ai écrit un poème qui évoque mon parcours et mes aspirations pour moi et pour autrui. Aujourd’hui je voudrais juste me marier, être un homme heureux et bon, voir ma femme heureuse, avoir des enfants, un travail. Pouvoir retourner au Nigéria avec Germinia, revenir, repartir et revenir encore. Grâce à ce que j’ai trouvé ici, je me sens déjà plus autonome. » - Solomon

Désormais partie intégrante du spectacle Frontières, Solomon danse et partage son histoire avec le public, tout comme une trentaine d’autres Lormontais. Construit avec les habitants, le spectacle évoque les origines, le métissage, les migrations choisies ou subies, le déchirement d’être ici et de là-bas. Emmanuelle Arino et Clément Namoah de la compagnie Entre-Nous ont fait de ce principe de construction participative le moteur de leurs créations.

 

 

Solomon n’a pas souhaité monter sur scène pour la 1ère sortie de résidence de la compagnie en juillet.  « C’était une répétition publique et je ne me sentais pas prêt. Je voulais donner ce que j’ai de mieux. Mais je suis déterminé à participer aux prochaines représentations. »
Le 27 août à 18h, aura lieu la 2ème sortie de résidence du spectacle Frontières à l’Espace culturel du Bois fleuri. On y verra peut-être danser Solomon Iguma, Nigérian et Lormontais. On entendra à coup sûr son poème, son rêve d’un monde altruiste, ses espoirs d’homme libre.

 

Du 25 au 27 août, de 9h30 à 17h30, la compagnie sera en résidence à l’Espace culturel du Bois fleuri. Il est encore temps de rejoindre ce projet de création participative en cours de construction.

 * Le taux de chômage des moins de 25 ans au Nigeria serait de 53,4 % en 2020, selon le media Ecomnews Afrique, plateforme d’information économique sur les pays du continent africain.

Contact 06 63 65 44 96
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