Exposition

Les ombres de la nuit haïtienne

Photographe/réalisateur guadeloupéen, Jean-François Manicom nous offre une magnifique série de clichés nocturnes, véritables crépuscules de la condition humaine captés en terre haïtienne. Intitulée « La ville dont personne ne connaissait le nom », cette exposition est à découvrir du 15 septembre au 27 octobre.

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Loin des clichés sur l’art naïf haïtien ou ses influences vaudoues, Jean-François Manicom pose un regard pertinent sur Haïti, première République noire indépendante du monde*. Ses photographies, exclusivement réalisées la nuit, représentent à la fois un défi technique et un challenge philosophique où l’image questionne l’instabilité inhérente à l’existence. Cette existence exacerbée par l’âpreté de la vie et la singularité antillaise : « la caraïbe a connu une destinée particulière construite sur le génocide des indiens Taïnos et  Arawaks, l’esclavage transatlantique et les flux migratoires les plus souvent subis. Il y a comme une incapacité à la stabilité psychologique, l’état de béatitude et de repos de l’esprit nous sont relativement inconnus… » confie Jean-François Manicom.

Entre la route de Darbonne et les faubourgs de Port-au-Prince

Dans la poussière de la route de Darbonne, cette route de campagne que l’artiste a régulièrement fréquentée, des ombres fantomatiques errent dans la nuit, éclairées au hasard du passage des phares des camions ou des voitures. Il y a de la poésie dans ces images mais aussi de la dramaturgie. Cette route de Darbonne en Haïti, qui pourrait aussi bien se trouver dans la banlieue de Caracas ou d’Abidjan évoque ces silhouettes sans nom qui semblent à la fois si vulnérables et si fortes…. On ne dort pas la nuit, enfants, femmes, hommes, vieillards continuent de vendre, de troquer, de palabrer, de marcher sans but comme si, au bout du chemin, la promesse d’une meilleure condition de vie rallierait le lever du soleil. Et puis, des quartiers populaires de Port-au-Prince, la capitale dévastée, traumatisée par les hommes et les éléments, se perpétue inlassablement une volonté de vivre, de survivre. Le renoncement ne fait pas partie du vocabulaire. Et pourtant… les photographies sont sombres, à l’image d’un pays meurtri où se mêlent réalisme merveilleux et réalisme social. Sous l’éclairage d’un réverbère ou des néons d’une boutique, les rues moribondes de Port-au-Prince exhalent un parfum tout aussi sordide qu’émouvant. On ne peut s’empêcher de penser à la plume poétique du talentueux et regretté Jacques Stephen Alexis*.

Le particulier se marie à l’universel

« J’ai l’impression que les émotions ne peuvent pas s’échapper aux Antilles. Complexe insulaire lié à l’exiguïté territoriale, je ne sais pas trop ? Ici, quand quelque chose est trop douloureux, on dit qu’il n’a jamais existé » précise Jean-François Manicom.

Comme dans toute œuvre qualitative, le particulier se marie à l’universel de façon déconcertante. Ne sommes-nous pas tous un peu de ces spectres de la nuit haïtienne en quête de bien-être ou d’oubli ? Une vie plus digne, un ventre mieux rempli ou l’illusion d’une existence qui aurait finalement du sens... probablement plus facile à écrire qu’à vivre. Les clichés de Jean-François Manicom nous invitent à cette réflexion. La vingtaine de tirages présentée dans cette exposition est réunie pour la première fois sous cette forme. Une attention particulière a été portée à la scénographie et à l’éclairage afin de magnifier l’ambiance nocturne originelle. « Avec cette exposition, mes images atteignent une forme de maturité car elles sont montrées telles que je les avais pensées. La maturité se gagne au contact du regard des autres… » avoue-t-il.

Alors aidons ces photographies à gagner encore en maturité, elles le méritent absolument.


* le 1er janvier 1804
* écrivain haïtien (1922-1961), qui s'est illustré par sa résistance à la dictature de François Duvalier et par la grande qualité de son œuvre romanesque 

Lecture d’œuvre en présence de l’artiste : mardi 18 septembre à 18h
Salle d’exposition de la médiathèque / pôle culturel et sportif du Bois fleuri
Infos : 05 57 77 07 30 / 06 84 13 97 89
jfmanicom .com | Bti.ly/Caraïbe2018